Par HEATHER BAKKEN, PRESIDENTE DE LIBERTE DE PRESSE CANADA
La décision de Mark Zuckerberg de remplacer son programme de vérification des faits sur les plateformes de Meta par les notes de la communauté – basées sur la production participative, ou crowdsourcing – est un signal clair que l’ère de la responsabilisation des géants du Web est révolue.
Le fondateur et président-directeur général de Meta a également annoncé qu’il déplacerait ses équipes de confiance et de sécurité, responsables de l’application des politiques relatives aux propos haineux et à la désinformation, de la Californie vers la forteresse conservatrice qu’est le Texas. Cette initiative, présentée comme une avancée en faveur de la liberté d’expression, « contribuera à dissiper la crainte que les employés biaisés censurent le contenu de façon excessive », selon Zuckerberg.
La journaliste Maria Ressa, lauréate d’un prix Nobel de la paix, a déclaré à CNN qu’il n’est pas question de liberté d’expression, mais plutôt de consolider le pouvoir tout en refusant de se responsabiliser, ce qui crée un vide là où la liberté de presse et la démocratie devraient prévaloir.
Meta a de l’influence sur près de la moitié de la population mondiale. L’entreprise contrôle trois des quatre plateformes les plus importantes, et sa base d’utilisateurs couvre presque toutes les régions géographiques et sphères démographiques. Les intégrations de Facebook à WhatsApp, Instagram, Threads et Messenger augmentent encore davantage son influence. En remplaçant la vérification des faits fondée sur les normes et l’éthique journalistiques par des « notes de la communauté » faites par des contributeurs aléatoires agissant comme arbitres de la vérité, Meta manque à sa responsabilité d’assurer l’intégrité de l’information véhiculée sur ses plateformes, qui risquent de devenir une chambre d’écho mondiale de la manipulation émotionnelle.
Ce changement n’est pas un cas isolé. Elon Musk, en transformant la plateforme X, nous a déjà montré ce qui se passe lorsque les systèmes de modération de contenu sont démantelés. Il a remplacé la surveillance par des algorithmes opaques et l’ajout de « contexte » par les utilisateurs, ce qui a donné un passe-droit à la désinformation, déguisée en liberté d’expression. Comme Elon Musk, Mark Zuckerberg sous-traite la responsabilité de lutter contre la désinformation mondiale complexe à des utilisateurs mal outillés, se positionnant comme un spectateur passif alors que sa plateforme devient un terreau du chaos et de la manipulation. D’ailleurs, X s’est débarrassée de la vérification des faits et a adopté les notes de la communauté après l’arrivée d’Elon Musk.
Comme l’a dit Napoléon Bonaparte : « Le champ de bataille est une scène de chaos constant. Le gagnant sera celui qui contrôlera ce chaos, à la fois le sien et les ennemis. »
Maria Ressa nous met en garde : « Se débarrasser des normes et de l’éthique sur une plateforme mondiale, ce n’est pas un problème de liberté d’expression, mais bien un problème de sécurité. Facebook a remplacé le journalisme comme portail d’information. Sans faits communs et sans réalité partagée, comment peut-on avoir une démocratie qui fonctionne? »
Les enjeux mondiaux sont désastreux. Selon le V-Dem Institute, 72 % de la population mondiale vit maintenant dans des régimes autocratiques, souvent présidés par des dirigeants élus qui démantèlent les institutions démocratiques comme les médias, la société civile et le système judiciaire. Le tout est alimenté par la désinformation et la polarisation, ce qui effrite la démocratie de l’intérieur.
Dans son dernier livre, At a Loss for Words, Conservations in an Age of Rage, la journaliste Carol Off s’exprime sur les dangers de notre situation politique actuelle. « Le problème n’est pas dans nos divergences d’opinions; c’est que l’émotion l’emporte sur la logique et la raison. »
En donnant la priorité au profit et à l’opportunisme politique plutôt qu’à la responsabilisation, Mark Zuckerberg joue avec les fondements de la démocratie. L’absence de surveillance professionnelle ne fait pas qu’amplifier les dommages, elle les institutionnalise. Cela laisse à elles mêmes la presse écrite, les voix marginalisées et les institutions démocratiques dans un écosystème de l’information de plus en plus chaotique. Le nouveau champ de bataille de Meta n’est pas celui de la liberté d’expression, mais celui du contrôle. Qui en sortira gagnant?